Ville la plus peuplée et poumon économique des Emirats arabes unis (EAU), Dubaï l’internationale a bonne presse en Occident et attire depuis bon nombre d’années des hommes et femmes d’affaires (mais surtout des hommes) des quatre coins du globe. A cela s’ajoute un tourisme « upper class » facilité par un régime sachant allier souplesse à l’égard des préférences – voire vices – d’une clientèle fortunée et rigidité extrême envers ses ressortissants les plus pauvres et les travailleurs étrangers. Le phénomène n’est certes pas nouveau, mais la stratégie émiratie d’établir le tourisme comme pilier supplémentaire de sa diversification économique s’intègre parfaitement dans une opération de communication de grande ampleur.
Au « tourism washing » s’est depuis peu ajouté ce qu’on pourrait qualifier de « culture washing ». En accueillant l’exposition universelle, les EAU se dotent d’une précieuse onction culturelle qui aurait fait rougir de honte le plus indulgent des papes. A chacun son « nation branding ». Et ça marche. En témoignent notamment les compte-rendu médiatiques de la dernière visite gouvernementale à Dubaï qui, à quelques exceptions près (notamment dans les colonnes du Land) ne se sont pas davantage attardé sur la nature politique et socio-économique des EAU, sans parler des eaux troubles géopolitiques sur lesquelles ils voguent.
La semaine dernière, j’ai utilisé les cinq minutes qui m’étaient accordées dans le cadre de l’heure d’actualité sur la situation des droits humains au Moyen et au Proche-Orient pour me concentrer sur les relations privilégiées que notre pays développe avec les EAU. J’en ai également profité pour y déposer une motion invitant le gouvernement à s’engager en faveur de la libération des maints prisonniers politiques émiratis, motion qui fut finalement rejetée par les 31 député.e.s de la majorité.
En tant que déi Lénk, nous étions conscients des faibles probabilités que cette motion puisse être adoptée. Et nous savions qu’elle mettrait le gouvernement dans l’embarras tant l’attitude concrète du Luxembourg envers les EAU est en décalage complet avec la doctrine des affaires étrangères en la matière, à savoir de la primauté des droits humains sur toute autre considération. Belles paroles.
Deux arguments particulièrement spécieux furent employés afin de légitimer le rejet de la motion. Le premier reposait sur les bienfaits des relations économiques étroites afin d’« amener » progressivement le régime émirati vers davantage de liberté. Cette logique devrait réjouir d’autres pays qui subissent des sanctions économiques sous prétexte de – justement – ne pas satisfaire les capitales occidentales en matière de droits humains. Quant au second argument, il consiste à faire croire que (si, si !), les autorités luxembourgeoises profiteraient de ces relations économiques pour faire passer, en loucedé, des messages en faveur d’une démocratisation du pays. Et comme tout cela se passe en coulisses, bienheureux celui ou celle qui pourrait démontrer ou infirmer la véracité des affirmations de notre diplomatie.
Les tartufferies des intérêts du capital ne se heurtant qu’aux limites de la naïveté de celles et ceux qui veulent bien y croire, la participation à l’exposition universelle fut également un argument supplémentaire, car, comme on aime à le répéter avec grandiloquence et d’un ton sentencieux, « la culture œuvre toujours pour la démocratie ». Sauf que non, pas toujours. Dans ce cas précis, elle sert de caution à un régime dont le soutien extérieur est vital afin de faire perdurer un système d’exploitation intérieur des plus brutaux.
Mais pourquoi chipoter ? Après tout, le fonds souverain d’Abu Dhabi (Abu Dhabi Investment Authority) contribue au développement urbain du Luxembourg : après Royal-Hamilius, ce fonds a également jeté son dévolu sur la Place de l’Etoile, palliant ainsi au manque criant de logements pour riches construits par des ouvriers sous-payés, étrangers et sans droits politiques. A quoi bon alors tant de culture si nous sommes déjà si proches ?